Par Pr Sylvie Manouvrier, le 31 janvier 2017

Les malformations des membres expliquées par le Pr Sylvie Manouvrier

 

Les malformations des membres touchent environ une naissance sur 1500. Elles sont très diverses, et nous n’évoquerons ici que les malformations réductionnelles, qui représentent plus de la moitié des anomalies des membres.

Les causes des malformations congénitales réductionnelles des membres

Les malformations congénitales réductionnelles des membres sont très hétérogènes sur le plan étiologique (causes de la maladie). Elles peuvent être:

  • accidentelles, rattachées à une anomalie de vascularisation très précoce au cours du développement embryonnaire,
  • secondaires à la prise de médicaments en cours de grossesse
  • d'origine génétique.

Il n’est pas question d’entreprendre ici un catalogue de ces causes, car chaque personne est unique, et chaque cas particulier et il faut conseiller de consulter un généticien clinicien si la question de la cause d’une malformation réductionnelle congénitale de membre est posée.

Le développement du membre

Les membres apparaissent très tôt dans la vie de l’embryon (26ème jour pour les membres supérieurs, 28ème pour les membres inférieurs), sous la forme de bourgeons. Ceux-ci vont rapidement grandir, grâce à la multiplication importante de certaines cellules qui les composent. Mais ces divisions cellulaires ne sont possibles que si ces cellules en reçoivent l’ordre. Cette information leur provient d’une toute petite proportion d’autres cellules situées à l’extrémité du bourgeon. Si les cellules de cette région disparaissent, les cellules sous-jacentes cessent de se multiplier, le membre de grandir et on observera une amputation congénitale.

Les bourgeons vont aussi présenter de nombreux processus de modélisation : le membre supérieur est différent du membre inférieur, le dos de la main et du pied sont différents de la paume ou de la plante, … Cette modélisation est très complexe et fait intervenir de nombreuses informations génétiques, dont les anomalies peuvent être responsables de malformations diverses, et que certaines molécules médicamenteuses peuvent perturber.

Un peu de génétique

Nos cellules se développent et fonctionnent grâce aux informations contenues dans les gènes. Ceux-ci sont inscrits sur la longue molécule d’ADN qui compose les 23 paires de chromosomes, situés dans le noyau de chaque cellule. A chaque division cellulaire, cette information est recopiée et partagée également entre les deux cellules « filles », qui possèdent ainsi la même information que leur cellule « mère ».

La quantité de matériel génétique est très importante puisqu’elle atteint plus de 3.2 milliards de « bases » (les lettres de l’alphabet génétique). Seule une petite quantité de cet ADN (environ 1%) code les quelques 20 000 gènes. Mais le reste n’est pas inutile ! Il contient des régions régulant l’expression des gènes dans les divers tissus où ils s’expriment. Les anomalies génétiques peuvent se situer non seulement dans les parties codantes des gènes (exons, relativement accessibles aux analyses génétiques), mais également dans les régions régulatrices (beaucoup moins bien connues), voire perturber les interactions entre un gène et ses éléments régulateurs…

Les anomalies génétiques peuvent être transmises de diverses façons. Lire l'article sur les principaux modes d'hérédité

L'analyse du patrimoine génétique

  • Le caryotype est l’examen le plus ancien et le moins précis. Il permet de visualiser les chromosomes. Mais une anomalie visible sur le caryotype concerne des dizaines / centaines de gènes et sera donc, le plus souvent, responsable de maladies associant des malformations et une déficience intellectuelle. L’immense majorité des anomalies responsables de malformations des membres n’est pas visible sur le caryotype.

Jusqu’à ces dernières années, il était possible d’analyser (séquencer) un ou plusieurs gènes connu(s) pour être responsable(s) d’une pathologie donnée. Mais, si le diagnostic n’était pas posé, ou si le gène responsable n’était pas connu, aucune analyse ne pouvait être réalisée. Or, ces dernières années ont été marquées par des progrès techniques majeurs en matière d’analyse génétique.

  • L’ACPA (analyse chromosomique par puce ADN) est capable d’identifier une toute petite perte ou un tout petit gain de matériel génétique (à l’échelle de quelques ou d’un seul gène(s)).
  • Le séquençage de nouvelle génération permet d’étudier, en une seule analyse, un panel de plusieurs dizaines de gènes, ou toutes les parties codantes du génome (analyse dite d’exome), voire l’ensemble du génome. Ces deux dernières analyses sont d’interprétation délicate, encore à la frontière entre le soin et la recherche, mais vont connaitre un essor très important dans les prochaines années. Etudiant l’ensemble du capital génétique d’un individu, elles sont susceptibles de découvrir des anomalies qui ne sont pas en lien avec le motif de leur prescription (prédisposition au cancer par exemple), ce qui pose des questions éthiques ne devant pas être négligées.

Quelques exemples de malformations réductionnelles des membres

  • La plus fréquente des malformations réductionnelles des membres est l’hémimélie transversale (Figure 1C). Elle touche les enfants des deux sexes, est isolée et n’atteint qu’un seul membre, majoritairement un membre supérieur, et le plus souvent au tiers moyen de l’avant-bras. Cette anomalie est accidentelle, elle est attribuée à un accident vasculaire très précoce, touchant la petite artériole qui vascularise la crête ectodermique apicale. Les cellules de celle-ci meurent, n’envoient plus les signaux de division aux cellules sous-jacentes, qui cessent de se multiplier. L’amputation congénitale est d’autant plus proximale que l’accident est survenu précocement. Cette anomalie n’est pas génétique, le risque de récidive dans la fratrie de l’enfant atteint, et plus tard dans sa descendance est celui de la population générale (environ 1/10 000).
  • Les amélies sont beaucoup plus rares et plus probablement génétiques car souvent bilatérales. Nous cherchons actuellement à identifier la cause des amélies des membres supérieurs (Figure 1B).
  • Les hémimélies longitudinales ont, elles aussi, le plus souvent, une cause génétique, même lorsqu’elles sont unilatérales. Par exemple, une aplasie (absence) ou hypoplasie (défaut dedéveloppement) du radius (Figure 1D), qui est responsable d’une malposition de la main (main bote) et qui est, le plus souvent associée à une absence de pouce, peut être liée à de nombreuses causes génétiques différentes, le plus souvent transmises sur un mode autosomique dominant. Ces anomalies peuvent être associées à d’autres malformations, ce qui justifie un bilan complet. Mais il faut aussi garder à l’esprit que certaines de ces anomalies (notamment en cas d’atteinte radiale) peuvent être secondaires à la prise d’un médicament tératogène (toxique pour le foetus), par exemple le Valproate (Dépaquine, excellent antiépileptique)
  • De même, les agénésies ou hypoplasies tibiales responsables de pieds bots (Figure 1E) ont été rattachées à différentes causes génétiques.
  • Les « mains et pieds fendus » (Figure 1G) sont, eux aussi très hétérogènes aux plans clinique (ils peuvent atteindre une ou plusieurs extrémités, être isolés ou associés à d’autres malformations) et du point de vue génétique (Au moins 10 gènes ou régions chromosomiques ont été identifiées)
  • Enfin, les phocomélies (Figure 1F) sont, elles aussi le plus souvent génétiques et, dans la grande majorité des cas intégrées au sein d’un syndrome malformatif.

En conclusion

Il peut être important pour le patient et sa famille de savoir la cause d'une anomalie réductionnelle congénitale de membre, tant pour la prise en charge du patient (identification d’éventuelles anomalies associées) que pour l’information génétique au patient et à sa famille. Même si beaucoup d’entre elles sont accidentelles (liées à un accident vasculaire), un certain nombre a un caractère génétique. On y pensera surtout si l’anomalie est bilatérale (même asymétrique) ou touche plusieurs extrémités, si elle est associée à d’autres malformations et s’il existe une histoire familiale. Cependant, c’est surtout le diagnostic clinique réalisé par un généticien clinicien qui évoquera, ou non, l’hypothèse d’une cause génétique et orientera les analyses.

Toutefois ces analyses ne permettront pas toujours d’identifier la cause génétique car il reste beaucoup à découvrir pour expliquer la survenue des malformations congénitales des membres.

 

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